Archéologie

Elle exhume d’un vieux sac un petit carnet dans lequel elle avait noté, comme à son habitude, un peu de tout. Le carnet n’est pas rempli. Elle s’est arrêtée au milieu. En première page elle y lit ceci : " 22 février 2005- il désigne très bien les couleurs et les formes, il dessine très bien des ronds. " Sur la page d’en face il y a diverses petites notes qui ne doivent pas être du même jour car le crayon utilisé est différent. Au crayon à papier : " Le Caravage ". Puis au stylo Bic, " ses premiers mots: maman, papa, balle -14 mois ". Plus bas : " banane, oui, non, deux - 27 février 2005 " Au bas de la page " Bleu, bois, gros, petit ". En troisième page, elle avait griffonné des prénoms de petite fille, celle qu'elle n'a jamais eue: " Olympe, Lys, Félicity "… Tout en haut, "Bertille ", il a du être rajouté plus tard. Au milieu de la page, il y a "Pierre "… Elle tourne la page et trouve deux titres de livres qu’elle n’a jamais achetés " Charles Herman : l’homme sans grâvité. Denoël ", et " les naufrages de la Terre Promise, Robert Arnoult ". Elle avait recopié en bleu une citation " l’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature, mais un roseau pensant ". A côté, " la seule chose qui nous console de nos misères c’est le divertissement et cependant c’est la plus grande de nos misères ". Ce doit être de Pascal. Il y a aussi une coupure de journal verticale, jaunie par le temps. Elle contient des adresses de jardins à visiter en France... Les noms sont beaux. On lit " le labyrinthe des sortilèges ", " le jardin des cinq sens ", " bosquets chimériques "… Elle continue de feuilleter doucement. Il y a trois pages vierges. Une citation de Voltaire: "on entre, on crie et c’est la vie. On crie, on sort et c’est la mort. Un jour de joie, un jour de deuil, tout est fini en un clin d’œil ". Un petit papier quadrillé est coincé entre deux pages; d’une autre main sont inscrits les numéros de téléphone, au bureau et sur le portable, d’une ancienne amie qu’elle avait perdue de vue. Un chèque cadeau d’une parfumerie. Au feutre elle avait griffonné le récapitulatif d’un tournage pour la facture d’un client " 9 avril, 15 avril, 5 mai ,14 mai ". Plus bas, des horaires de train ou d’avion " 8 h45.12H10 ", sans destination. Au bas de la page, entouré d’un geste vif, elle voit "concerto de Varsovie"; elle n’arrive pas à relire le nom du compositeur. Une date est barrée. Comme le nom d’une personne dont elle n’a plus le souvenir. Le numéro de téléphone de l’office du tourisme espagnol pour un voyage qu’ils n’ont jamais fait. Elle passe trois ou quatres pages blanches. Tout au milieu de la suivante, elle trouve encore un prénom de petite fille:" Madeleine". Elle tourne la page, « Madeleine » est de nouveau écrit, en rouge cette fois, et souligné. Une page dont le coin a été déchiré abrite le numéro de Georges, un ami grec qu’elle n’a pas vu depuis longtemps , et une liste de choses à faire : " Appeler Georges,envoyer colis,ADSL,payer menuisier ". Puis noté au stylo gras « Datura : plante à fleurs blanches en forme de cloche » Deux numéros de portables sans nom; l’un au pastel violet écrit à la va-vite, l’autre au crayon à papier . Le petit carnet se termine par cette phrase, elle ne sait pas si c'est d'elle : "un bon projet documentaire est construit, il n’a rien à voir avec une errance "… Il restait une vingtaine de pages à remplir encore. L’histoire de cette époque s’arrête là. En examinant ce carnet sans importance, elle eut l’impression de fouiller dans les petites choses d’une proche, récemment défunte. Comme pour se raccorder encore quelques secondes à un souffle de vie. Elle attisait le feu à l'aide du soufflet, doucement, en cherchant les détails au détour des griffonages, qui auraient fait resurgir des fragments d'âme.

Comments

[anouchka22]

J'ai fait plein de fautes sur mon com précédent, je n'aime pas ça, désolée !!!!

[anouchka22]

Comme toujours j'aime beaucoup ton univers et ce que tu décris...........Nostalgique je suis et je resterai, sans doute mes originaires slaves et juives pour couronner le tout........
J'ai tant et tant de carnets, de journaux intimes comme ça, de vieux répertoires où un nom, un numéro font rejaillir du fond de ma mémoires tant de souvenirs.
Merci de ce joli post.
Bon dimanche à toi et au petit trottineur (j'aime beaucoup ta nouvelle banderole).
Gros bisous