L'urne

Tantine n’avait pas d’enfants. C’était une femme libre, et laïque. Tantine avait demandé que ses cendres soient répandues au pied d’un arbre, là où elle venait jouer, petite... Alors ils ont pensé que naturellement, la vieille dame avait sa place au pied du hêtre, face à la maison. C’était à Noël. On leur avait donné l’urne avec un mois de retard, dans une pouche de velours violet. Il neigeait dehors. Ils avaient posé l’urne au bord de la fenêtre. A côté des homards vivants, qui attendaient leur sort... La nuit de Noël est passée. Le 25, Tantine attendait au bord de la fenêtre, et les homards avaient été consommés. Le 26 , il s’était mis à neiger fortement, avec un vent glacial sur le parc. Elle s’est rappelée la grand’ tante. Son père, avec ses manières expéditives, a pris l’urne et dit que l’heure était venue pour Tantine de reposer définitivement. Ils se sont retrouvés à trois au pied du hêtre, un peu bêtes, avec ce qui restait de la Tantine dans les mains. Puis d’un geste brusque, son père a ouvert l’urne et dit qu’il était temps. Comme ils n’avaient pas prévu de petit discours, c’est sorti de sa bouche comme cela, elle a dit : « bon vent Tantine » … au moment où son père dispersait maladroitement les cendres, parce que l’urne était lourde. Soudain,une vive bourrasque s'est levée, et ils ont été recouverts par les cendres de Tantine... Ils n’ont pas pu s’empêcher d’éclater de rire en époussetant leurs manteaux. A l’heure où les bonnes consciences remplissent les cimetières de bouquets de chrysanthèmes hideux, elle salue la légèreté de Tantine de ne pas leur avoir imposé cela. Près du hêtre, elle avait planté, avec le petit trottineur, le petit sapin de Noël avec son étoile au bout. Le sapin de ce Noël là justement… L’étoile monte allègrement de plus en plus haut dans le ciel. Chaque fois qu’ils y viennent, elle une pensée pour Tantine qui aimait les arbres. Une pensée légère et joyeuse.