Les acheteurs

Une mission pour elle. Un travail spécialisé dont elle a l’expérience, pour un film « corporate ». Un tournage très technique et compliqué. C’est pour cela qu’ils sont venus à elle… Ils veulent son travail, elle sait faire; lui disent que ce n’est pas une question d’argent… Mais le devis devra passer par le « service achat » au « secteur logistique ». C’est la « procédure ». Les « acheteurs »... Une nouvelle race d’hommes et de femmes en expansion dans les grandes entreprises. Le « service achats », c’est un centre de profit, dont la religion est la réduction des coûts, dont le vocabulaire tourne autour des « targets »,« reportings » et de l’ « optimisation »… Des hommes et des femmes, invisibles, qui négocient au téléphone, avec le pouvoir de dire oui ou non, le pouvoir de presser les fournisseurs, les mettre à pied. De toutes les façons, ils le savent, il y a toujours un moins-disant qui se mettre plus bas que terre pour avoir l’affaire... Alors ils poussent les sous-traitants au plus loin de leurs retranchements. Les saignent s’ils le peuvent. Ca n’a pas de limite, les chiffres, ça les fait bander. Et les acheteuses ? Elle les imagine en cravache et bottes simili cuir à cheval sur l’ordinateur… Ces walkyries, déesses de l’Excel, sado-masos de l’arithmétique, qui à coup de trique font plier le fric, galoper les chiffres sur les tableurs. Et pendant qu’ils s’amusent de leurs victoires autour de la machine à café, qu’ils comparent les promos des hotels-club pour leurs prochaines vacances d’hiver, le petit artisan se demande comment il va faire pour ne pas y laisser sa chemise… Elle établit son devis. Un prix juste. Le service achat la rappelle. Trop cher. Oui, mais un film ce n’est pas un kilo de ferraille ou de béton ! Il y a le regard , la sensibilité, l’approche du sujet !... L’expérience ! Trop cher. Elle voit le jeu. Et n’y entre pas. Elle fait juste un effort commercial comme chez les concessionnaires auto, c’est tout. Trop cher. Tant pis. Vous n’avez pas été retenue… Ce n’est pas grave. Elle ne vend pas son âme au diable, et ne baisse pas son pantalon. D’ailleurs elle porte des jupes maintenant.

Comments

[cielo moon]

Oui les acheteurs passent souvent à côté de ce qui n'a pas de prix, tant pis pour eux, tant pis pour ceux qui les paient et qui acceptent de tout standardiser... Un jour cela aussi aura un prix à payer...

[Jacques]

…et c'est si bien dit, ce qu'il faut accepter pour ne pas perdre son âme…