La pluie du dimanche

C’est une petite scène à Paris, à laquelle elle assistait du coin de l’œil. L’histoire se passe dans un café au confort moelleux. Les fauteuils sont bas et les tables surmontées de petites lampes aux abat-jours de tissu rouge. Au sol, la moquette épaisse absorbe les sons et invite à la confidence feutrée. Elle voit en entrant dans le café, ce couple à droite. C’est la dame qui attire son regard en premier. La dame se poudre le visage, et de sa main alourdie par des bagues voyantes, se remet du rouge à lèvres avec ostentation. Sur le dossier de son fauteuil, est posé un manteau somptueux. La dame doit avoir dans les quatre-vingts ans. Elle est très coquette. Face à elle, un homme la regarde. Il pourrait être son fils ou son petit-fils. Il a le visage poupon, mais sans âge, avec une calvitie luisante . L’homme dévisage la dame pendant qu’elle se refait une beauté sans pudeur. Il a les mains croisées, posées sur la table, l’air décidé, ou en attente de quelque chose. Il n’a pas fini sa bière. Le Petit trottineur commande une Orangina, elle, un thé noir bien chaud. Il y a tempête dehors et les passants pressent le pas. En contemplant les mouvements de la rue, elle se dit qu’elle aimerait bien être ici à prendre un thé avec sa grand-mère aussi… Mais ce n’est pas du tout ça. La conversation du couple d’à côté lui parvient par bribes éparses. Il y a quelque chose de dissonant dans son contenu. Elle essaie vaguement d’en renouer les fils. "Je n’ai rien à vous cacher, vous savez tout de ma vie maintenant, et je vous ai montré toutes mes photos ", dit la dame "Oui et vous étiez une très belle femme. " La dame minaude un peu. "Si, si , si je vous assure. D’ailleurs vous avez de beaux restes,vous avez un cou de biche… " Il continue d’opérer. La dame ne parle pas beaucoup. "Vous savez pourquoi on est fait pour être ensemble ? Parce qu’on est classiques tous les deux. Regardez, j’ai 45 ans…La manière dont je suis habillé ce n’est pas un déguisement, je m’habille toujours comme ça, je n’aime pas le moderne " Il y a beaucoup de silences. La jambe de l’homme bouge nerveusement. Il dévisage la dame, qui semble aimer être regardée. Un peu plus tard, il est question d’un voyage vers le sud de la France. L’homme lui propose de l’y accompagner. Elle dit que ce n’est pas la peine, elle a son chauffeur. Il insiste. Puis il déploie toute une batterie d’arguments pour justifier le bien fondé de leur relation. Visiblement il lui faut le contrat en main quand sa bière sera finie. Le verre du petit trottineur est vide. Dehors il pleut toujours. Ils attendront que l’averse passe pour sortir. Elle commence à oublier le couple d’à-côté quand elle entend l’homme dire à la dame : "ce que j’aime le plus chez vous, c’est le fric." La dame regarde l’homme sans répondre. Elle sourit. Il reprend «"oui, c’est le fric, vous êtes pleine de tunes et c’est ce qui me plait chez vous… En plus vous avez un grand appartement, le mien est petit … Au moins il y a de la place chez vous" Elle voudrait crier à la dame : " ne vous laissez pas faire ! Fichez le dehors ! Venez boire un thé avec moi, on aura plein de jolies choses à se dire! ". Mais non, la dame le laisse faire et sourit toujours. Elle a décidé de ne plus écouter cette conversation qui lui donnait la nausée. Le couple s’est levé. La dame a endossé son vison cossu. Il a mis sa casquette en pieds de poule. "Vous avez déjà payé l’addition?" dit-il. "C’est très bien". Puis le couple est sorti sous la pluie du dimanche.

Comments

[anouchka22]

Je viens te souhaiter un bon dimanche, en espérant que vous vous retapiez un petit peu.
En lisant ton histoire sur ce drôle de couple, une réflexion me vient sur ces fameux couples "bourreau-victime", le fait que chacun y trouve sa place. La Dame a sans doute besoin d'un homme plus jeune pour chauffer son lit et la complimenter.........
Passe une bonne journée, bisous doux